Virus ennemi by Jeanneney Jean-Noël

Virus ennemi by Jeanneney Jean-Noël

Auteur:Jeanneney, Jean-Noël [Jeanneney, Jean-Noël]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Démocratie, Essai, Histoire, Angoisse, Politique, Sociologie
ISBN: 9782072912832
Éditeur: Gallimard
Publié: 2020-06-03T04:00:00+00:00


UN GRAND BESOIN D’ÉTAT

Chacun à sa place. Il faut toujours qu’interviennent des arbitrages, parfois dramatiques, entre la santé et l’économie. Ceux-ci ne peuvent être le fait que des politiques. Élargissons donc la focale, sans quitter les deux guerres mondiales. L’une et l’autre ont provoqué des mutations profondes en faveur d’une intervention de l’État. Voilà un champ auquel conduisent tout droit les propos du président de la République, dans sa première intervention solennelle, le jeudi 12 mars – des mots qui ont fait annoncer par quelques-uns, avec un sourire, « qu’un candidat socialiste avait surgi pour l’élection de 2022 ». « Il nous faudra, nous a-t-il dit, tirer demain les leçons du moment que nous traversons, s’interroger sur le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour. […] Ce que révèle cette pandémie, a-t-il ajouté, c’est qu’il existe des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. […] Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. » On ne se lassera pas, désormais, de lui rappeler ces phrases.

Parmi les élites gouvernant la Troisième République, avant 1914, la conviction régnait, sauf chez les élus marqués le plus à gauche, que l’État, rabattu sur ses seules fonctions régaliennes, ne devait pas intervenir directement dans la marche économique du pays. Même ses interventions sociales devaient être bridées, de peur d’effets malencontreux. Des lois politiques majeures avaient été élaborées, à grand mérite, dans les premières décennies du régime. Mais la législation sociale était en retard sur l’Allemagne. Or, en quelques semaines, en 1914, la doctrine du « laissez faire, laissez passer » vola en éclat. Le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position ne put qu’accélérer ce changement radical. Il fallut que l’État coordonnât, régulât, imposât. Il fallut qu’il imposât sa férule, pour servir les transferts massifs de soldats et de marchandises, à des compagnies de chemin de fer privées qui étaient jalouses jusqu’alors de leur indépendance : la nationalisation de fait de 1937, qui vit naître la SNCF, est le fruit de cette expérience. Il fallut qu’il stimulât la fabrication des armements, des fusils, des canons, des munitions, parce que, contre tous les pronostics, la guerre durait. On s’aperçut, en somme, qu’on devait passer des stocks aux flux.

Dans l’amphithéâtre de l’ancienne Faculté des lettres de Bordeaux, une plaque en marbre rappelle que, le 20 septembre 1914, le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, y convoqua de grands industriels de la métallurgie pour les mobiliser au service d’une politique économique d’État. Les puissants sidérurgistes – tels Schneider et Wendel – se trouvèrent, à leur étonnement et d’ailleurs avec leur accord patriotique, brutalement subordonnés : eux qui étaient naguère encore si soucieux de maintenir leur distance envers un État dont ils fustigeaient les grosses pattes maladroites. Il leur fallut composer avec une haute administration qu’ils avaient jusque-là tenue à distance, selon un mélange de méfiance et de condescendance.



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